Dr Marc Rosemont, rédacteur en chef de Dentoscope : La pénurie d’amoxicilline peut-elle durablement modifier les attitudes des praticiens en termes d’antibiothérapie ?
Dr Mathieu Durand, expert médico-légal et conférencier :
Les causes des pénuries de médicaments actuelles sont diverses, combinant des problèmes de production, de logistique et d’économie. Les pays qui régulent les prix des médicaments voient leur approvisionnement diminuer lorsque la rentabilité n’est pas assurée. La délivrance de médicaments à l’unité est probablement une avancée dans ce sens. Les praticiens devront s’adapter à cette situation, car il s’agit d’investissements importants qui prennent du temps. La prévention jouera un rôle crucial, car la manière la plus efficace de lutter contre l’infection est d’empêcher sa survenue. De nombreux confrères européens recommandent désormais de considérer les traitements endodontiques comme des traitements temporaires à moyen terme, qui doivent être surveillés. Il est étonnant que la bouche soit la seule zone anatomique où l’on cherche à conserver des organes nécrosés. Les soins parodontaux devraient donc prendre de l’importance, étant donné l’impact des pathogènes associés sur la santé générale et buccale. La rationalisation de la prescription antibiotique, comme je l’ai proposée, prend alors tout son sens.
Comment la profession peut-elle réagir face à l’usage intensif des antibiotiques et mieux sensibiliser les patients ?
Il est prouvé que des résidus d’antibiotiques sont présents dans l’eau et la nourriture. Nous en sommes tous en partie responsables. Cependant, la responsabilité première revient aux gouvernements et aux industriels. L’innovation constante dans l’élevage et les cultures résistantes aux bactéries, nécessitant moins de traitements, doit être encouragée et non freinée, dans un cadre réglementaire favorable à la recherche. La prescription de confort, pour le patient ou le praticien, est une pratique très répandue dans le monde. En outre, en odontologie, la récurrence des infections peut donner l’impression que l’automédication est justifiée. Il nous appartient d’établir un dialogue avec nos patients sur ce sujet et de les sensibiliser au fait qu’aucun médicament n’est anodin. Cela nécessite du temps et de la pédagogie, mais le temps manque à la profession. Tout comme pour les pharmaciens, l’acte de consultation, comprenant diagnostic et prescription, doit être mieux valorisé.
Comment faire face à une résistance bactérienne et quel dialogue peut-on établir avec le patient ?
Je pense que la plupart des antibiorésistances ne sont pas diagnostiquées ! Qui n’a jamais rencontré un abcès « récurrent » malgré un traitement adéquat et une prescription appropriée ? La spécificité de notre profession fait que le traitement associe souvent des actes mécaniques, techniques et médicamenteux. L’un de ces actes pourra résoudre le problème, sans pouvoir identifier précisément lequel. La désinfection par l’ozone pourrait également être une solution prometteuse pour nos sites contaminés, bien qu’elle ne soit pas encore très répandue. Parfois, des actes différés par rapport à l’apparition de la maladie bactérienne seront malheureusement la seule option, ouvrant la voie à des techniques de reconstruction plus lourdes. Face à une résistance avérée, le gradient thérapeutique que j’ai proposé sera privilégié. Cependant, en cas de résistance à chaque étape de traitement, je recommande aux confrères de demander une prise en charge hospitalière dans les services de maladies infectieuses et de signaler cette résistance sur le site du ministère de la Santé et de la prévention (1).
(1) Portail de signalement des événements sanitaires indésirables.